Delphine Coindet
Attachements
Vernissage: Jeudi 23 Février
18h-21h
23 Février - 8 Avril
Galerie Laurent Godin 2
36 bis rue Eugène Oudiné
75013 Paris
Le titre pourrait désigner le principe de fixation par lequel tout peut tenir ensemble – et déjà la raison technique et la fonction allégorique se suffisent-elles d¡¯un unique énoncé. Selon des règles provisoires, par des équilibres contingents, s¡¯appuyant sur des cales molles, se fiant à son élasticité, ça tient ; malgré son empirisme, malgré la précipitation, malgré l¡¯absence de virilité, malgré tout, ça tient. Ça résiste, même, aux vents dominants, à la gravité, au défaitisme. Ça résiste aussi au conseil bienveillant asséné par une société néo-libérale qui doit son argument philosophique à un coaching en développement personnel, vaguement orientaliste, soit la tyrannie du « détachement ».
La scène suivante est un flash back, ou quelque chose de plus violent, au moins dans les mots, une défragmentation du disque – peut-être à la hache. Comment s¡¯arrêter sur ce qui est, alors que jamais le travail ne cesse ? Comment relire le passé alors que le présent brûle, et que le caractère raisonné des catalogues est assommant ? Le décor se présente ainsi : une architecture d¡¯urgence entourée de flammes.
Mais cette chimère d¡¯insurrection dans l¡¯espace de la Galerie Laurent Godin (II), plutôt qu¡¯un assaut grillagé, y installe une grille de lecture. Par des moyens réduits à l¡¯extrême, cette ossature souligne des arêtes saillantes; elle dégage des lignes claires agrégées de nébuleuses qui bientôt dessinent un cosmos rustique, une matrice de presque rien qui embrasse tout. Si c¡¯était une structure littéraire, elle soutiendrait le projet d¡¯une autobiographie dont la forme serait à même de rendre compte des évènements autant que de la texture des années, intègrerait l¡¯extérieur et le collectif au je intime, de sorte que les êtres et les choses, la politique et la météo, la raison d¡¯être et de faire ne composent qu¡¯un seul récit. Plutôt qu¡¯une barricade, le geste, toujours précis, dresserait là une structure synthétique et défensive contre la simplification, ou sous un jour plus festif, un chapiteau en l¡¯honneur de la complexité, abritant les grands écarts de style et de méthodes qui rendent le tout « autoportant ».
On a déjà vu les grandes sculptures usinées cohabiter avec les assemblages spontanés faits de carton, de tulle et d¡¯os. Mais ici leur présence – qui use de diverses tactiques d¡¯incarnation, personnification (du parallélépipède), métonymie, ou carrément relique – se doublerait par la figuration de leur propre rôle dans un scénario aussi rétrospectif qu¡¯ouvert à toutes les hypothèses de recomposition du sens et des morceaux. Il suppose toutefois de reconnaître le lien de conséquence et de complémentarité qui lit le concept à l¡¯expression, les surfaces lisses aux carapaces rugueuses, et la pensée aux affects. Car tout est lié et l¡¯on finit par s¡¯attacher à tout – même aux animaux stupides et aux idéaux épuisés – tandis que l¡¯artiste ne lâche rien.
Cette humeur est à demi feinte dans ces dramatiques simulacres de flammes, évoquant la pompe d¡¯un décor baroque autant que les dernières survivantes des fêtes païennes. Cette ardeur stylisée pourrait se lire comme une confidence à l¡¯endroit du travail, dont on saisit la métaphore en même temps que l¡¯on passe dans sa réalité matérielle, et qui vaut de déployer tant d¡¯énergie en ironisant déjà sur le risque d¡¯un retournement de situation. Depuis longtemps, la sculpture pare à l¡¯imprévu en avançant une stratégie de l¡¯ambivalence (et une certaine désinvolture) qui se révèlent souvent avec sa valeur d¡¯usage : quelque part, sur la flamme, un livre est posé à califourchon, comme si la lecture interrompue restait sur le qui-vive, à l¡¯image du repos des cow-boys.
Julie Portier